Le bassin méditerranéen, en particulier le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, est caractérisé par une forte dépendance à l’égard des importations agricoles, notamment de céréales et de légumineuses. Cette dépendance est susceptible de s’accroître dans un avenir prévisible, en raison des changements mondiaux, c’est-à-dire de l’expansion démographique actuelle, des changements dans les habitudes alimentaires et de l’évolution du climat (étude PluriAgri, 2015), comme l’ont déjà montré Latati et al. (2017) pour l’Afrique du Nord. Au cours des 30 dernières années et en réponse aux politiques visant l’intensification de la production agricole, les ménages agricoles ont suivi des trajectoires qui ont généralement augmenté les revenus et l’orientation des systèmes agricoles vers le marché. Cependant, la pression économique a encouragé la spécialisation, ce qui a entraîné la monoculture. Cela a causé des dégradations de l’environnement, par exemple une perte de biodiversité, qui menacent la fourniture de services écosystémiques (SES), mais l’efficacité des intrants et de la main-d’œuvre est restée très variable. Les citoyens des pays européens exigent de plus en plus une agriculture plus respectueuse de l’environnement et une production alimentaire plus saine, une tendance qui pourrait encore s’accentuer (par exemple, produits biologiques, locaux, etc.). En outre, il existe un fort besoin de développer une agriculture moderne et durable dans les pays du sud de la Méditerranée, pour permettre la stabilisation des populations rurales, en leur offrant de réelles perspectives économiques et de meilleures conditions sociales.
Pour relever les défis de la production dans la zone méditerranéenne, le projet BIODIVERSIFY favorisera la diversité des espèces dans le temps (en rotation et pendant les périodes d’interculture) et dans l’espace (cultures associées et agroforesterie) afin d’améliorer l’efficacité de l’utilisation des ressources (en particulier l’eau et les nutriments), d’accroître la résilience aux stress abiotiques tels que la sécheresse, et de lutter contre les mauvaises herbes, les ravageurs et les maladies sans recourir systématiquement aux pesticides. Le projet évaluera l’efficacité de la diversification des espèces et des cultivars pour améliorer la production de grains destinés à la consommation humaine (blé dur/blé panifiable, pois chiches, fève, lentilles, etc.) et de fourrage (graminées et légumineuses), tant pour l’autoconsommation à la ferme que pour le marché. À l’échelle des parcelles, des exploitations agricoles et des régions, le développement durable réduira la sensibilité des systèmes agricoles au changement climatique et favorisera la sécurité alimentaire aux niveaux territorial et régional, tout en contribuant à la réduction de la pauvreté rurale. De récentes initiatives de l’Europe et de la FAO ont promu l’agriculture à haute diversité spécifique (HDS) comme moyen durable d’intensifier l’agriculture mondiale dans les pays développés et en développement (Griffon, 2006 ; de Schutter et Vanloqueren, 2011). Le projet BIODIVERSIFY va au-delà de la preuve du concept que l’agroécologie permet une plus grande résilience pour les agroécosystèmes : il permettra de quantifier in situ, dans une série de conditions pédoclimatiques et socio-économiques, la manière dont le l’agriculture HDS augmente effectivement les services multiples des écosystèmes et réduit le besoin d’intrants externes (engrais, pesticides et énergie fossile). Le projet BIODIVERSIFY permettra donc de vérifier que les solutions basées sur la HDS augmentent l’efficacité des ressources naturelles abiotiques (lumière, CO2, nutriments, eau), maintiennent ou augmentent le rendement des cultures (grains et fourrages), et fournissent des niveaux élevés de services écosystémiques tout en protégeant l’intégrité des écosystèmes et la santé des agriculteurs, en éliminant autant que possible l’utilisation de pesticides. La mise en œuvre d’une agriculture fondée sur une grande biodiversité exige une reconception des systèmes de culture et d’exploitation actuels avec une plus grande biodiversité végétale, y compris une utilisation plus large de différents cultivars et espèces de cultures (Duru et al., 2015). La diversité des espèces sera grandement enrichie par i) la réintroduction de légumineuses (Peoples et al., 2019) et ii) d’autres espèces négligées dans les rotations agricoles, par iii) l’utilisation de plantes de couverture multi-services pour fournir de multiples services écosystémiques pendant les périodes d’intercultures dans les rotations (Justes et al., 2017) ou dans les allées entre les cultures pérennes (Garcia et al., 2018), et par iv) le développement de systèmes agroforestiers où des cultures supplémentaires sont cultivées sous les arbres.
Afin d’atteindre cet objectif, le projet BIODIVERSIFY explorera un échantillon de systèmes de culture méditerranéens emblématiques présentant un gradient de biodiversité et de complexité structurelle des cultures : i) rotations diversifiées de cultures de rente annuelles avec réintroduction de légumineuses dans la rotation, ii) introduction de cultures de couverture multiservices en période d’interculture entre les cultures de rente successives dans la rotation et comme couvertures dans les allées de cultures pérennes, iii) cultures associées (mélange d’espèces) et iv) agroforesterie (mélange de cultures ou de prairies et d’arbres). Plus spécifiquement, BIODIVERSIFY se concentrera sur trois systèmes de production principaux qui sont répartis dans des conditions climatiques et des contextes socio-économiques représentatifs et qui forment la base du « régime méditerranéen sain » : 1) les systèmes de culture à base de céréales pour la production de grain et de fourrage, 2) les vignobles pour la production de raisins et de vin, et 3) les systèmes agroforestiers à base d’oliviers pour la production d’olives et d’huile. Cette recherche sera menée par un consortium transdisciplinaire en consultation avec les agriculteurs et les parties prenantes afin d’examiner leurs contraintes et opportunités socio-économiques (capacité financière, main-d’œuvre, machines, etc.), ainsi que la capacité des chaînes agroalimentaires locales à transformer et commercialiser des produits de bonne qualité et à forte valeur ajoutée.
BIODIVERSIFY atteindra son but principal grâce aux objectifs spécifiques suivants :
- Comprendre comment les systèmes agricoles méditerranéens traditionnels biodiversifiés combinent les espèces de cultures et la biodiversité des cultures et des arbres, dans une « biodiversité fonctionnelle » efficace pour fournir des agroécosystèmes durables et résilients. Cette compréhension permettra ensuite l’hybridation des connaissances des agriculteurs avec les nouveaux résultats de la recherche et les nouvelles technologies pour améliorer la productivité agricole et la résilience des systèmes agricoles face aux changements mondiaux (climatiques, sociaux, commerciaux, technologiques). L’analyse aboutira à une description complète des performances et à une évaluation des fonctions des écosystèmes liées à la biodiversité.
- Engager, en collaboration avec les agriculteurs et d’autres parties prenantes, un processus de co-évaluation et de co-conception pour développer des systèmes de culture basés sur la biodiversité afin d’accroître les bénéfices de l’ensemble des chaînes de valeur :
- Générer des connaissances sur les interactions entre les cultures et la biodiversité cultivée ;
- Co-concevoir de nouveaux systèmes de culture, y compris ceux comprenant de nouvelles espèces, et de nouveaux arrangements spatio-temporels ;;
- Concevoir de nouvelles chaînes de valeur, y compris de nouveaux labels, par exemple pour les produits sans pesticides.
- Évaluer les performances multicritères, la durabilité et la résilience des systèmes fondés sur la biodiversité dans différents contextes (intensification, type d’exploitation, zones agro-environnementales, accès au marché), sur la base de :
- Modélisation des interactions biotiques multiples et de la lutte à long terme contre les ravageurs et les maladies (y compris les interactions aérien/souterrain et les effets de résistance/résilience) ;
- l’évaluation des rendements et des services écosystémiques de différents systèmes sol-culture et sol-culture-arbre;
- l’évaluation des services écosystémiques et des impacts des pratiques agricoles sur la biodiversité;
- Analyser la performance économique des systèmes de production existants et nouveaux, ainsi que les contraintes de mise en œuvre et les instruments politiques qui soutiennent l’agriculture à haute diversité spécifique et la fourniture de services écosystémiques.
- Développer des activités spécifiques de diffusion, de vulgarisation et d’éducation, orientées vers i) les agriculteurs et les conseillers (actuels et étudiants), ii) les décideurs politiques, et iii) la société pour informer les consommateurs et les citoyens sur les interrelations entre la production agricole et l’environnement, la biodiversité et la santé humaine (via l’impact de l’utilisation des pesticides).